L'auteur du livre Les Mabi de Kribi relate la grandeur nature, l’histoire des Mabi, qui ont subi les affres des assassinats, tueries, pendaisons et déportations.
Bible des valeurs du peuple Mabi de Kribi, Sylvain Mboum, qu’est ce qui justifie la publication de ce livre ? Et pourquoi en ce moment précis ?
En fait, dès l’année 2001, j’ai découvert à tout hasard sur internet que les Mabi d’antan étaient de grands sculpteurs et qu’il y a cent ans, la région de Kribi était l’une des zones les plus prolixes de production de l’art rituel en Afrique laquelle a produit parmi les objets les plus emblématiques de l’art négro-africain. Moi qui ne voyais que les Mabi contemporains, j’en étais tellement étonné que j’ai décidé d’essayer d’en savoir plus. C’est ainsi que j’ai progressivement, patiemment et méthodiquement commencé à faire des recherches. En 2012, j’avais collecté tellement d’informations sur 1000 d’histoire et d’organisation sociale des Mabi que j’ai décidé d’écrire un livre. Mais plus je cherchais, plus je trouvais et plus j’écrivais. Ce livre est donc le fruit de 20 années de recherche patrimoniale et historique au Cameroun dans les régions du Sud-Ouest, du Centre, du Littoral, de l’Est et du Sud. Ces recherches ont produit des résultats qui m’ont amené à enquêter en Guinée Equatoriale, au Gabon et en Europe occidentale.
Pourquoi le publier maintenant ?
Simplement parce que c’est maintenant que j’ai trouvé le bon éditeur qui accepte d’accompagner le projet.
Vous parlez des termes très graves dans le titre, à l’instar du génocide. Cela se justifie vraiment ?
Absolument. Très peu de gens le savent. La plupart des Mabi eux-mêmes l’ignorent. Mais ce peuple a été génocidé. L’un des plus longs génocides qui soient. Les colonisateurs allemands ont commencé les massacres des Mabi en décembre 1892 lorsque le King Mayesse l’un des tout premiers martyrs de la colonisation au Cameroun s’est révolté contre la brutale pénétration allemande au Cameroun. Ils se sont poursuivis sans discontinuer jusqu’en décembre 1915 lorsqu’à leur paroxisme, les allemands massacrèrent près de 15.000 Mabi en un jour à Kribi, avant de s’enfuir vers la Guinée Espagnole après la défaite contre les alliés. Ce massacre fut surnommé Makoala par les Mabi, ce qui signifie « la séparation, les adieux » et le lieu où il se produisit prit le même nom. C’est par déformation phonétique qu’il est aujourd’hui le quartier Mokolo de Kribi. En réalité, lorsque les allemands arrivent à Kribi en 1887, les Mabi sont une ethnie de taille moyenne dans la mosaique culturelle du Cameroun. Quand ils s’en vont en 1916, les Mabi sont devenus une extrême minorité ethnique ayant perdue environs 80% de sa population et ses hommes les plus valeureux, s’est totalement déstructurée et n’a presque plus de marquage identitaire. En fait, le génocide physique a débouché sur un ethnocide culturel. Selon mon observation, ce n’est qu’à partir de l’an 2000 que ce peuple a recommencé à se reconstruire.
Monsieur Sylvain Mboum, dans le contexte socio-politique et économique de Kribi aujourd’hui, quelle est la place du Mabi ?
Je ne saurais le dire car depuis ma place d’écrivain, je n’ai pas un regard à 360 degrés sur eux. Cependant, je remarque que ce peuple connait depuis quelques années un certain frémissement sur le plan culturel. Ils ont recommencé à mettre en valeur leur magnifique patrimoine culinaire, leur pouvoir traditionnel, les danses patrimoniales qui tendaient à disparaitre ainsi que des habitudes et faits sociaux qui relèvent de leur culture. Leur festival Nguma Mabi est devenu un moment important dans le calendrier culturel de l’Océan en particulier et le Sud en général. J’ai quant à moi toujours pensé qu’on peut devenir très grand dans ce monde en exploitant la culture. Je pense que c’est aussi l’option choisie par eux.
Que propose l’auteur pour que l’homme Mabi impose son identité et s’impose dans ce Kribi qui se transforme à un rythme soutenu ?
Si on ne sait pas d’où l’on vient, on ne saura pas où on va. Le fait que les Mabi aient enfin leur Histoire reconstituée et écrite est un pas de géant. Se réconcilier avec cette histoire va sans doute leur permettre de vaincre le traumatisme trans générationnel dont ils ont été victimes et qui les handicapaient. Ils ont désormais tout pour se reconstruire et considérer l’avenir avec optimisme et sérénité.