Vanté ou détesté, l’ex-patron du gouvernement italien, décédé hier lundi 12 juin à l’âge de 86 ans, était inséparable de la vie politique italienne de ces dernières décennies. Et pour cause, il a joué sur tous les tableaux. Ainsi, au cours de sa vie, Silvio Berlusconi a porté de multiples casquettes. Rétrospection sur les cinq facettes d’« Il Cavaliere ». S’il y a bien quelque chose que l’on ne peut retirer à Berlusconi, c’est son sens des affaires. Le parfait capitaliste italien en somme. Après quelques expériences comme chanteur sur les bateaux de croisières et vendeur en porte-à-porte, c’est dans l’immobilier qu’il a commencé sa carrière proprement dite au début des années 1960. De ce fait, parmi ses succès : le quartier résidentiel Milano 2 construit dans les années 1970, sur quelque 700 000 m². Grands espaces verts, système de déplacement triple (piéton, vélo et véhicule), services essentiels (banques, commerces, écoles…) pensés de manière intégrée avec les logements. Milano 2 est extrêmement novateur pour l’époque. « Berlusconi a vraiment innové : il a donné le meilleur de lui-même comme urbaniste, il a une conception extraordinaire de l’espace urbain. C’est un aspect de lui un peu oublié », a indiqué un expert. Il s'est lancé ensuite dans la télévision, et a essayé à partir des années 1980 de s’internationaliser en fondant La Cinq (fermée en 1992) en France, et des chaînes en Allemagne et en Espagne. La holding de la famille Berlusconi, Fininvest, compte trois chaînes de télévision, des journaux, les éditions Mondadori et bien d’autres participations.
À ce sujet, « Silvio Berlusconi a inventé la télévision commerciale en Europe, en même temps que les Britanniques, alors que le continent vivait encore sous un monopole des télévisions publiques nationales », a expliqué Carlo Alberto Carnevale Maffè. Il a conçu une télévision « très populaire, sur le même modèle que celui des tabloïds anglais, en amenant la vie quotidienne sur les petits écrans », a-t-il rappelé. Mais pour parvenir à ses fins, le « Cavaliere » s’est montré astucieux : dans les années 1970, la Péninsule ne compte que la télévision publique RAI et des télés locales, un réseau privé national étant interdit. « Son astuce a été de transmettre, simultanément sur toutes les télés locales le même programme, comme s’il s’agissait d’une télé nationale, ce qui lui permettait d’attirer beaucoup plus d’annonceurs publicitaires », a indiqué Umberto Bertelè, professeur émérite à l’École de Commerce de Polytechnique à Milan. Toutefois, l'un des plus grands talents de Silvio Berlusconi, a souligné Carlo Alberto Carnevale Maffè, a été qu’il était « un incroyable vendeur ». Il a ainsi inversé la logique en créant une régie publicitaire Publitalia’80, avec un groupe télévisé lié, Mediaset, qui s’appelle désormais MediaForEurope.
En 1994, Silvio Berlusconi a crée Forza Italia, et à l’issue d’une une campagne-éclair relayée par son empire médiatique, il devient chef du gouvernement avant d’être lâché par ses alliés sept mois plus tard. Il est revenu au pouvoir en 2001 pour cinq ans, un record depuis l’après-guerre. Battu d’un cheveu en 2006, il prend sa revanche deux ans plus tard, s’installant aux commandes pour la troisième fois. Mais en novembre 2011, il doit céder sous les huées les rênes d’une Italie en proie à une grave crise financière. Silvio Berlusconi est donc revenu sur le devant de la scène politique en 2019, en étant élu député européen. Trois ans plus tard, il échoue à imposer sa candidature à l’élection présidentielle. En revanche, il parvient à retrouver un siège de sénateur. Sportif dans l’âme, il était le « premier tifoso » de l’AC Milan, club qu’il a dirigé pendant trois décennies et dont il avait fait l’une des plus grandes équipes au monde grâce à des stars recrutées à prix d’or. Propriétaire depuis 2018 d’un autre club de Serie A (Monza), l’AC Milan fut pour lui une passion jamais démentie mais aussi un redoutable outil de communication au service de ses affaires économiques et de sa carrière politique.
Pour rappel, durant les trente-et-un ans de règne du « Cavaliere » (entre 1986 et 2017, avec quelques pauses quand il fut chef du gouvernement), le club au célèbre maillot rayé rouge et noir a raflé 29 trophées, dont cinq Ligues des Champions et huit titres de champions d’Italie. Habitué des tribunaux. Silvio Berlusconi a accumulé tout au long de sa vie publique une série si impressionnante de procès en tous genres qu’ils font désormais partie de sa légende. La quasi-totalité de ses procès ouverts se sont terminés par des acquittements définitifs ou ont été prescrits. Silvio Berlusconi a d’ailleurs toujours clamé son innocence, s’estimant victime d’un acharnement judiciaire fomenté par des magistrats de gauche à des fins politiques. La seule condamnation définitive à son encontre date du 1er août 2013 lorsque la Cour de Cassation a confirmé sa peine de quatre ans de prison et six ans d’inéligibilité dans une affaire de fraude fiscale liée à son empire médiatique Mediaset. Il avait alors bénéficié d’une amnistie pour trois ans et le reste de sa peine a été transformé en travaux d’intérêt général (TIG) effectués à Milan dans une maison de retraite. Il a été déchu de son mandat de sénateur en novembre 2013, récupéré en 2022. In fine, l’Italien fut longtemps soupçonné d’entretenir des liens avec la mafia. Ces allégations ont fait l’objet d’une enquête mais elles n’ont jamais abouti à un procès.
Rosine MANGA