Société

Grande guerre : le trésor photographique d'un couple de fermiers de la Somme

Grande guerre : le trésor photographique d'un couple de fermiers de la Somme

En 1914-1918, le village de Vignacourt, dans la Somme, était une importante base arrière pour les soldats alliés. Un couple, passionnés de photographies, a laissé un véritable trésor, témoignant de la vie à l’arrière-front. Un trésor qui a failli sombrer dans l’oubli, puisqu’il n’a été retrouvé qu’un siècle plus tard, dans le grenier de leur ferme.

 

portraits sont saisissants. On y voit des soldats Australiens, Canadiens, Écossais, Népalais, Sénégalais … Certains ont le visage grave, fermé, où l’on peut lire l’horreur de la guerre. D’autres ont un léger sourire au coin des lèvres. Les yeux plantés dans l’objectif du couple Thuillier.

Lors de la Grande Guerre, Antoinette et Louis Thuillier ont installé un véritable studio photo, chose rare à l’époque, dans leur ferme, située au cœur du village de Vignacourt, dans la Somme (nord de la France). Louis, blessé à la guerre, est passionné de nouveautés, et apprend à sa femme à se servir de son appareil photo à plaques. Dans le studio improvisé, tous les deux immortalisent ceux qui le souhaitent, à petit prix. Des dizaines et des dizaines de soldats défilent devant leur objectif. Ils utilisent les photos comme cartes postales pour envoyer des nouvelles à leurs familles.

Devant l’objectif, il y a aussi des civils, femmes et enfants, ou travailleurs, habitants de Vignacourt, se mêlant aux soldats. Au total, le couple prend plus de 4000 plaques photographiques. « La qualité des photos est incroyable, on peut zoomer sur les habits des soldats, et voir nettement leur numéro de bataillon, par exemple », détaille Valérie Vasseur, la responsable du centre d’interprétation de Vignacourt 14-18.

Une découverte près d’un siècle plus tard

Le musée a été créé dans l’ancienne ferme des Thuillier, en 2018. Car le trésor photographique n’a été découvert que très tardivement, près d’un siècle après la guerre. « Elles auraient pu sombrer dans l’oubli, mais grâce à des passionnés et une bonne dose de chance, elles ont été retrouvées », témoigne Valérie Vasseur

Une fois l’armistice signé, les soldats quittent Vignacourt. Le couple se voit contraint d’arrêter la photo. Louis Thuillier le vit mal, tombe en dépression, et se suicide en 1931. Les plaques photographiques sont alors remisées dans de grandes malles, au grenier, loin des yeux d’Antoinette et de son fils Robert, qui essayent de survivre à la tragédie.

En 1988, le maire de l’époque, baptisent deux rues du village pour honorer la mémoire des Australiens venus combattre sur ses terres. Une exposition est organisée pour l’évènement, et Robert Thuillier demande à un ami photographe de développer quelques photos de ses parents. Des photos qui resteront accrochées dans la mairie.

En 1988, le maire de l’époque, baptisent deux rues du village pour honorer la mémoire des Australiens venus combattre sur ses terres. Une exposition est organisée pour l’évènement, et Robert Thuillier demande à un ami photographe de développer quelques photos de ses parents. Des photos qui resteront accrochées dans la mairie.

En 1990, un historien amateur, de passage dans le village, les découvre. Convaincu qu’il tient là un témoignage exceptionnel, il entame des recherches pour retrouver d’autres photos. En 1996, le fils des Thuillier meurt, et la ferme est mise en vente. Elle restera sans acquéreur pendant près de 20 ans.

La télévision australienne filme la découverte

En 2011, les recherches de l’historien amateur arrivent aux oreilles de la télévision australienne, Seven Network. Dans la Somme, 11 000 soldats australiens sont morts pendant la Grande Guerre, le pays cultive donc un important devoir de mémoire. Lorsque les journalistes de la chaîne débarquent à Vignacourt, ils obtiennent l’autorisation de la petite-fille des Thuillier, pour pénétrer dans la ferme, à l’abandon. Dans le grenier, ils découvrent d’énormes malles poussiéreuses, et les 4 000 plaques photographiques, quasiment intactes.

Un riche homme d’affaires australien achète ces plaques et elles sont prêtées à l’Australian Memorial War. Un long travail de recherche démarre alors, pour nommer les soldats et retrouver leurs descendances. Les Australiens créent une page Facebook, The lost Diggers, où ils publient l’ensemble des photos et lancent un appel aux familles. « À ce jour, 230 soldats ont été identifiés, explique Valérie Vasseur, un travail que nous faisons aussi ici à Vignacourt, récemment nous avons nommé 26 soldats. »

 

Denise KAVIRA KYALWAHI