Société

Le doigt de Issa Tchiroma Bakary

Le doigt de Issa Tchiroma Bakary

Une déclaration du ministre camerounais de l'emploi et de la formation professionnelle, fait couler beaucoup d'encre et de salive depuis le début de la semaine. En effet, lundi 31 janvier dernier, un extrait d'un papier du journal du soir de canal2 International n'a laissé personne indifférent. Indignations, réponses, soutiens, injures ont meublé la semaine de ceux qui se sentaient concernés par ce qui est devenu la nouvelle polémique.

En substance, voici la partie querellée du président du Front pour le Salut National du Cameroun: "Vous envoyez vos enfants dans des facultés qui forment des gens qui ne travailleront jamais. Vous envoyez des enfants dans la faculté d'histoire-géo, je n'ai rien contre, et si vous y envoyez vos enfants aujourd'hui, ils vont vous rapporter une maîtrise en histoire-géo, en lettres grecques ou modernes ou en lettres allemandes. Ils viendront avec ces diplômes là, ils ne travailleront jamais ! Jamais! Pourquoi donc dépenser de l'argent pour rien? Il est préférable d'envoyer ces enfants là dans des centres de formation où ils seront des carreleurs..." Voilà donc les propos qui ont provoqué l'ire d'une partie de l'opinion publique, notamment des enseignants des matières prises en exemple par le ministre de l'emploi et de la formation professionnelle du Cameroun. Cette partie de l'opinion publique s'est sentie insultée, avilie, rabaissée et voir même trahie par le ministre. Certains de manière très indélicate ont rappelé la récente actualité sanitaire de Issa Tchiroma Bakary, comme pouvant justifier que le ministre aurait perdu la tête. Ceux qui pensent cela se trompent en long, en large et en travers sur l'homme et sa pensée. Ce que Issa Tchiroma Bakary a dit est loin d'être insensé, irréfléchi ou spontané.

Rappelons déjà que ce n'est pas avec le ministre de l'emploi et de la formation professionnelle que ce débat naît au Cameroun, il existe depuis plus de 30 ans et revient d'ailleurs comme un marronnier à chaque début d'année scolaire. Rappelons aussi que Issa Tchiroma Bakary est un ingénieur des chemins de fers qui après avoir obtenu son baccalauréat dans le système scolaire camerounais a dû aller en France pour obtenir sa qualification. Rappelons encore que Issa Tchiroma Bakary a été ministre des transports, de la communication avant d'être aujourd'hui celui de l'emploi et de la formation professionnelle. En toute sincérité, quel discours autre que celui-là peut-on attendre d'un ministre de l'emploi au Cameroun ? Le fils de Garoua est parent, homme politique qui reçoit des milliers de sollicitations parmi lesquelles des demandes d'emploi de la part de ses affidés, Issa Tchiroma Bakary sait exactement de quoi il parle quand il a vu arriver sur son bureau, des milliers de demandes d'emplois de jeunes diplômés en histoire géo et qui bien évidemment ne savaient rien faire et pour qui lui, impuissant, ne pouvait rien faire.

Lors de la campagne pour les élections municipales et législatives du 9 février 2020, Issa Tchiroma Bakary comme à son habitude était sur le terrain. À Ngong, ville située à 40 km au sud de Garoua, alors qu'il s'adressait aux populations, il avait sorti un billet de 500 francs CFA de sa gandoura et avait fait cette déclaration : "Lorsque je sors ce billet de ma poche, vous vous attendez à ce que je vous le donne, vous me remerciriez si je vous le donne. Ce billet résoudra sans doute un de vos problèmes et peut-être vous irez voter pour moi. Mais en vous donnant ce billet, est ce que je vous ai aidé vraiment ? Quand vous aurez résolu le problème aujourd'hui et que demain vous en ayiez un autre et que je ne sois plus là pour vous donner un autre billet où que personne d'autre ne soit disposé à vous en donner un, qu'allez vous faire? Vous n'avez pas tort de réfléchir ainsi, parce que c'est ce à quoi vous avez été habitués depuis. Moi aujourd'hui, je viens vous dire que nous nous sommes égarés, nous avons eu tort d'agir ainsi. Mes prédécesseurs qui vous ont donné des billets, du riz, ont eu tort, vous qui avez accepté cela avez eu tort, la preuve, où en sommes nous aujourd'hui ? Nous sommes toujours tout autant pauvres et nécessiteux alors qu'ailleurs le monde se développe. Je viens vous proposer autre chose, le problème n'est pas de savoir si nous sommes capables de produire chacun ce billet chaque jour, nous en sommes capables. Ce que je veux vous proposer c'est qu'ensemble nous construisions l'environnement qui va permettre à chacun de produire son billet de 500 francs CFA." Le parti de Issa Tchiroma Bakary, le FSNC ne gagnera pas les élections municipales à Ngong en 2020, mais la graine était semée.

Rappelons aussi que Jeanne Nsoga, secrétaire générale du FSNC et conseillère de Issa Tchiroma Bakary est ce qu'on appelle une chasseuse de tête, ce sont ces personnes qui dans les RH sont spécialistes du recrutement. Elle a autorité pour parler de l'offre et de la demande dans le marché de l'emploi en Afrique en général et au Cameroun en particulier, ceci explique cela.

Les États-Unis sont reconnus à travers le monde comme un pays où la réussite individuelle est magnifiée et célébrée. Tout le monde connaît bien l'American way of life. Selon une étude publiée, le mardi 2 mai 2006, par le National Geographic, la majorité des jeunes Américains font preuve de lourdes lacunes en géographie et sont incapables, par exemple, de situer l'Irak sur une carte. Cette étude réalisée par l'institut Roper, auprès de 510 jeunes âgés de 18 ans, montre même que la plupart d'entre eux connaissent mal leur propre pays. La moitié des adolescents interrogés sont incapables d'identifier sur une carte la ville de New York ou l'Etat de l'Ohio, et 30 % estiment entre 1 milliard et 2 milliards le nombre d'habitants sur le territoire américain. La moitié des jeunes questionnés jugent qu'il est "important mais pas absolument nécessaire" de savoir situer un pays ou de parler une langue étrangère, précise l'institut Roper. Une majorité d'entre eux considèrent également ne pas se soucier de leurs lacunes en géographie. A tel point que, dans un contexte où des soldats américains étaient présents depuis trois ans en Irak, l'étude révèle que 63 % des sondés sont incapables de situer le pays sur une carte du monde. 75 % ne savent pas non plus situer Israël et l'Iran, pourtant omniprésents dans les médias américains. Si 46 % des individus de cette classe d'âge placent bien le Soudan en Afrique, 20 % estiment qu'il s'agit d'un pays asiatique, 2 % considèrent que ce pays, le plus grand d'Afrique en superficie, se situe en Australie et 1 % en Antarctique. Continent antarctique où, selon 3 % des personnes interrogées, se trouve la forêt amazonienne. Tout cela n'a pas empêché les success stories à continuer à s'écrire aux États-Unis.

Qu'on soit d'accord avec ça ou pas, la vérité c'est que l'histoire-géo, les langues grecques, allemandes ou autres, ne sont que de la culture générale et ne sauraient être élevées au rang de qualification dans un pays en voie de développement et qui a besoin de professionnels techniques pour faire tourner ses industries. Voilà ce que le ministre de l'emploi et de la formation professionnelle voulait dire, ceux qui ne le comprennent pas regardent le doigt de Issa Tchiroma Bakary quand celui-ci montre la lune.

Loris-Clet ADIANG