Dans la politique américaine, il n’y a pas que le cirque Trump qui importe. Depuis que la Cour suprême a rouvert la porte à la criminalisation de l’avortement en 2021, cet enjeu est au cœur des luttes partisanes au niveau national et dans les États. L’opposition d’une forte majorité d’Américains aux politiques restrictives radicales prônées par les républicains est une donnée incontournable que les démocrates ont exploitée à leur avantage en 2022 et sur laquelle ils devraient encore miser pour l’élection de 2024. On en a vu un exemple mardi lors d’un scrutin exceptionnel dans l’État clé de l’Ohio. En Ohio, un État qui a basculé dans la colonne républicaine aux élections présidentielles de 2016, la législature est solidement contrôlée par les républicains. Le découpage partisan des circonscriptions leur a en effet donné en 2022 une majorité béton de 67 sièges sur 99 avec 58 pour cent du vote populaire. À la suite de l’invalidation de Roe c. Wade par la Cour suprême, la majorité républicaine de l’Ohio, à l’instar d’autres États républicains, a adopté des lois restrictives sur l’avortement et promis son éventuelle abolition presque totale. En riposte, les groupes favorables au droit à l’avortement ont proposé de faire adopter un amendement à la constitution de l’État par référendum. L’amendement, qui sera soumis au vote populaire en novembre prochain, codifierait les droits existants depuis 1973. Cette mesure recueille un appui qui oscille entre 55 et 60 pour cent dans les sondages, y compris une proportion appréciable d’électeurs républicains contre la démocratie américaine. Pour faire échec à cet amendement, les élus républicains comptaient sur l’avantage que leur confère habituellement le faible taux de participation aux élections spéciales estivales pour faire adopter en catimini un changement aux règles du jeu démocratique. Ce changement visait à fixer à 60 pour cent le seuil d’acceptation d’amendements constitutionnels par référendum, rendant extrêmement difficile l’adoption d’une telle reconnaissance pour le droit à l’avortement. La campagne s’est avérée un avant-goût de celle de l’automne, avec une forte participation financière de groupes nationaux de part et d’autre de l’enjeu. Contrairement aux attentes des républicains, le taux de participation au vote a été étonnamment élevé pour ce genre de scrutin et le non l’a emporté. D’abord, on retient de ce vote qu’il s’agit d’une victoire pour la démocratie contre ceux qui s’efforcent de manipuler les institutions et les règles du jeu démocratique à leur avantage. Cette victoire est particulièrement importante puisqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une réaction à la volonté de la droite d’effacer le droit, longtemps tenu pour acquis, pour les femmes de prendre elles-mêmes leurs décisions en matière de santé reproductive. Cet épisode signale aussi au président Biden et aux démocrates qu’ils ont intérêt à mettre l’accent, d’ici à novembre 2024, sur les enjeux qui importent vraiment pour leurs électeurs, pour les électeurs indépendants et pour les républicains modérés, plutôt que de se laisser emporter par le cirque qui entoure Donald Trump.