Luc Marius Ibriga est contrôleur général d'État, il réagit face à la polémiques d'attentats à la sûreté de l'État qui caractérise le procès et dont l'action des militaires aux pouvoirs est également un attentat à la sûreté de l'Etat.
RFI : Au procès des assassins présumés de Thomas Sankara, plusieurs avocats de la défense affirment que le crime d’« attentat à la sûreté de l’État » ne tient plus dès lors que le Conseil constitutionnel a légitimé le dernier coup d’État qui était justement un « attentat à la sûreté de l’État »…
Non. Je ne pense pas que l’on puisse tirer cette conclusion. L’article 167 de la Constitution, qui n’a pas été révisé, est clair à son alinéa 2 qui dit : « Tout pouvoir qui ne tire pas sa source de cette Constitution, notamment celui issu d’un coup d’État, est illégal ». Donc, c’est une interprétation malheureuse que le Conseil constitutionnel a eu à faire en prenant en compte l’acte 1 du MPSR [Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration]. Mais, je ne pense pas que cette sortie puisse prospérer en droit.
Oui, ce que vous dites professeur, c’est que le 16 février, quand le Conseil constitutionnel a adoubé le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, il s’est appuyé sur un autre texte que la Constitution, qui est l’acte 1 du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), issu du coup d’État du 24 janvier. C’est ça ?
Oui. C’est cette erreur originelle du Conseil constitutionnel qui l’a conduit de façon détournée à reconnaître le coup d’État, comme si le coup d’État était un mode constitutionnel d’accès au pouvoir. Donc, je ne crois pas que cette exception d’inconstitutionnalité puisse prospérer pour empêcher qu’on applique les peines à ceux qui ont attenté à la sûreté de l’État ou ceux qui, dans le coup d’État de 2015, aujourd’hui purgent leur peine.
Oui. Il y a aussi en effet la tentative de putsch de septembre 2015, dont les responsables sont tout à fait concernés par ce débat. Ce qu’ont dit hier plusieurs avocats de la défense devant le tribunal militaire, c’est que ce qui compte, ce sont les actes et que, dès lors qu’il y a eu cette cérémonie du 16 février par laquelle le colonel Damiba a été investi président devant le Conseil constitutionnel, cela fait jurisprudence…
Oui. C’est vrai que le Conseil constitutionnel est la juridiction suprême et que ses décisions sont insusceptibles de tout recours. On peut considérer que, dans cette idée, il y ait jurisprudence. Mais lors de la décision du Conseil constitutionnel, la plupart des juristes ont volé dans les plumes du Conseil constitutionnel pour lui dire qu’il avait statué ultra petita, parce qu’on ne lui demandait pas d’accepter un coup d’État, on lui demandait simplement de constater la vacance et d’orienter les forces vives vers une transition, comme ce qui s’était passé en 2014 [après la chute du président Blaise Compaoré].
C’est-à-dire que, le 16 février, quand le Conseil constitutionnel a adoubé le lieutenant-colonel Damiba, beaucoup de juristes ont protesté ?
Oui. Il y a eu beaucoup d’indignation dans la mesure où cela conduisait à reconnaître le coup d’État comme mode d’accession au pouvoir.
Et du coup, est-ce que le Conseil constitutionnel, qui est aujourd’hui sollicité, pourrait décider, comme le souhaite la défense, que « l’attentat à la sûreté de l’État » ne peut plus être reproché aux accusés du procès Sankara ?
Non. Je ne pense pas, puisque le Conseil constitutionnel lui-même considère qu’il n’a pas, par sa décision, adoubé un coup d’État. Il a simplement pris en compte un acte, l’acte fondamental numéro 1 du MPSR. Je ne crois pas que le Conseil constitutionnel, saisi sur cette question, va dire : oui, j’ai pris cette décision ; oui, le coup d’État aujourd’hui au Burkina Faso est un mode d’accès au pouvoir. Cela m’étonnerait fort.
Sous-entendu, le Conseil constitutionnel a fait une mauvaise interprétation le 16 février et, dans les jours qui viennent, il reviendra dans les clous ?
Oui, dans la mesure où je crois qu’il a été quelque peu égaré du fait d’avoir mis l’acte fondamental numéro 1 du MPSR dans le bloc de constitutionnalité. Et c’est ce qui l’a amené à prendre une décision dont les conséquences dépassent ce que le Conseil constitutionnel lui-même aurait pensé.
L’histoire de votre pays est émaillée de coups d’État. Est-ce qu’il ne faut pas adapter la loi fondamentale à cette réalité historique ? Et est-ce qu’il ne faut pas supprimer de la Constitution le crime « d’attentat à la sûreté de l’État » ?
Non. Parce que ce serait très grave (rires). Et vous imaginez que, déjà quand [le coup d’État] il est condamné, il survient. Alors si véritablement il ne figure plus dans la Constitution, je crois qu’on va avoir des cycles de pronunciamiento qui vont être très rapprochés et on risque fort d’entrer dans une instabilité très grande. Je crois qu’il faut que, dans l’esprit des militaires, ils comprennent qu’ils n’ont aucune responsabilité à gérer le pouvoir d’État. Leur responsabilité, c’est de défendre l’intégrité territoriale du pays.
Source : RFI
Bera Cruz