Société

Abdoul Karim Saidou (politologue burkinabè): "le retour de Compaoré plutôt que de rassembler risque de diviser d'avantage"

Abdoul Karim Saidou (politologue burkinabè): "le retour de Compaoré plutôt que de rassembler risque de diviser d'avantage"

L’ancien président Blaise Compaoré est rentré au Burkina Faso ce jeudi 7 juillet 2022. Une visite de quelques jours à l’invitation du chef de la junte, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui souhaite réunir tous ses prédécesseurs au nom de la réconciliation. Quel rôle peut-il jouer ? Un retour définitif est-il envisageable ? Abdoul Karim Saidou est politologue à l’université Thomas Sankara de Ouagadougou.

 

RFI : Blaise Compaoré est à Ouagadougou pour la première fois depuis son renversement en 2014. Quels peuvent-être les effets de ce retour et que peut-il apporter aux autorités de la transition ?

Abdoul Karim Saidou : Je dirais que l’accord de Blaise Compaoré, on peut l’envisager à un double niveau. Donc sur le plan politique, on peut s’attendre à ce que ce retour de Blaise Compaoré puisse exacerber les tensions. Ce qui est paradoxal parce qu’officiellement ce retour est sensé en fait apaiser les cœurs et promouvoir la réconciliation nationale. Et, toujours sur le plan politique, on peut analyser son retour en tenant compte de ce qui se passe dans son propre parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, où on sait qu’il y a deux ailes ; il y a deux factions rivales, et c’est clair que cela va changer les rapports de force entre les deux factions rivales. Lorsqu’on sait que Blaise Compaoré est beaucoup plus favorable à l’aile dite historique dirigée par Achille Tapsoba. Et sur le plan sécuritaire, il faut craindre que les tensions politiques suscitées par ce retour-là ne puissent amenuiser les efforts qui sont fournis sur le plan national face au terrorisme. Donc, je dirais que c’est un peu ambivalent, d’une part via ces partisans, certes, qui vont être satisfaits de cela parce que cela fait des années qu’il a quitté le pays, mais, de l’autre côté, on peut s’interroger sur les conséquences au niveau de la cohésion nationale.

Blaise Compaoré rentre parce que le chef de la transition a convié tous ses prédécesseurs à une rencontre. Est-ce pour marquer sa légitimité alors que la situation sécuritaire ne fait qu’empirer ?

Oui, je pense que les premiers pas de la junte sur le terrain sécuritaire, en tout cas, ont montré des résultats mitigés et c’est clair qu’à travers ces différentes initiatives que le président Damiba est en train de prendre, il s’agit justement de créer autour de lui une certaine cohésion, de créer le rassemblement. Mais ce qu’on observe sur le terrain, c’est qu’il y a le risque que cela soit contre-productif parce que le retour de Blaise Compaoré plutôt que de rassembler risque de diviser davantage, si on regarde déjà les réactions de part et d’autre la controverse que cela suscite.

Blaise Compaoré ne doit rester que quelques jours à Ouagadougou, mais est-ce qu’un retour définitif est envisageable et dans quelles conditions ?

Un retour définitif est envisageable, mais je pense que cela sera tributaire de la façon dont déjà ce premier retour va se gérer parce que ça peut être considérer également comme une sorte de ballon d’essai. Il s’agit de voir comment les différents acteurs vont réagir. Est-ce qu’il y aura des mobilisations, est-ce qu’il y aura des contestations de rue, etc… Donc, je pense que cela dépend de ce qui va sortir de ce conclave-là, de cette rencontre, donc le président Damiba et les anciens chefs d’État. Et cela va dépendre également des discussions qu’il va y avoir, non seulement au niveau du gouvernement, au niveau de l’Assemblée législative de transition, mais avec la classe politique dans son ensemble.

Sur le plan politique, mais aussi sur le plan judiciaire, puisque Blaise Compaoré a été récemment condamné à perpétuité.

Oui, c’est un gros sujet ici parce qu’il n’y a pas que Blaise Compaoré, il y a également quatre autres personnalités comme le général Djibril Bassolé, le général Diendéré et beaucoup d’autres personnalités qui ont été condamnées dans le cadre de ces crimes, crimes de sang, notamment l’affaire Thomas Sankara. Il faut rappeler également qu’il y a d’autres procès qui sont censés être programmés par la suite. Je pense notamment au procès sur l’insurrection, je pense également au procès sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Donc, la grande question, ici, c’est supposé de savoir quel sera le sort de l’ensemble de ces dossiers. Est-ce que le président Damiba devra envisager de faire peut-être des lois d’amnistie au niveau de l’Assemblée législative de transition ou bien on va laisser ces procès se tenir et envisager par la suite une grâce présidentielle. Je pense que se sont ces modalités de réconciliation qui divisent les Burkinabè. Il était prévu avant la chute de président Kaboré, un forum national sur la réconciliation où la classe politique et l’ensemble des composants de la société étaient censés justement discuter de la feuille de route de la réconciliation. Mais là, on a plutôt une approche unilatérale de la part du président Damiba, des autorités de transition de façon générale, et je pense que c’est cela qui peut effectivement diviser. Donc, je crois que les prochains jours vont nous permettre de savoir si, effectivement, il y aura une discussion ouverte sur les modalités de la transition ou bien si les autorités de transition vont, en tout cas, mettre en place un processus de façon unilatérale. Ce qui, de mon point de vue, va susciter davantage de tensions. Et dans un contexte d’insécurité on peut s’interroger, justement, sur la faisabilité d’un tel processus. Parce que nous avons deux fronts : un front sur le plan sécuritaire, où l’armée et les forces de sécurité ont du mal à endiguer le terrorisme. Si on ouvrait un nouveau front dans le champ politique, je crains que la situation sécuritaire ne se dégrade davantage.

Denise KAVIRA KYALWAHI