Le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné dans les premières heures du 7 juillet 2021 dans sa résidence privée. Le commando armé se faisait passer pour une opération de la DEA, l'agence américaine anti-drogue. Le chef de l'État est criblé de 12 balles. Un an après son assassinat, où en est l'enquête actuellement ?
Le 7 juillet 2021, Haïti s'était réveillé en apprenant la mort du président Jovenel Moïse, assassiné par un commando armé. Ce jour-là, les assaillants paraissent être entrés avec facilité dans la résidence du président. Quelques heures après la police haïtienne avait réagi en arrêtant une vingtaine d'individus, dont 18 anciens militaires colombiens. Un an plus tard, l’enquête patine. Acteurs et mobiles restent inconnus, alors que le climat politique de l’île se dégrade.
Ainsi, Port-au-Prince face à la guerre des gangs,
Frédéric Thomas est docteur en sciences politiques, chercheur au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain et spécialiste d’Haïti. Pour lui, les difficultés de l’enquête sont liées à l’impunité dont jouissent les personnes au pouvoir. D'après lui, ces derniers ont l’appui de la communauté internationale pour maintenir leurs positions.
Pour rappel, il y a eu 43 personnes arrêtées, qui restent en prison. Parmi eux, 18 Colombiens. On en est au cinquième juge d’instruction, les quatre autres se sont désistés ou ont été démis. L’un d’entre eux est mis en cause pour des affaires de corruption. Concernant les États-Unis, elle avance un peu plus. Trois personnes ont été interpellées. La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de collaboration entre la justice américaine et la justice haïtienne. Du côté américain, il y a le sceau du secret sur ces questions. La situation est bloquée.
Au-delà du manque de moyens de la justice haïtienne, il y a clairement un manque de volonté politique d’aboutir. L’impunité règne et l’insécurité s’est aggravée, a expliqué
Frédéric Thomas, spécialiste d'Haïti.
Ce n’est pas seulement cette affaire qui est au point mort. D’autres affaires emblématiques, comme les massacres ou l’asssassinat du bâtonnier il y a un peu plus d’un an ou celui d’une journaliste militante féministe sont aussi aux oubliettes. L’impunité règne et l’insécurité s’est aggravée. Pour couronner le tout, depuis le 10 juin, le Palais de justice de Port-au-Prince est aux mains des bandes armées, qui contrôlaient déjà largement le centre-ville. Les autorités ne font rien contre eux.
<< Un pays gangréné par la violence des gangs armés. >>
En 2021, la Task force émanant de la Stratégie nationale pour le désarmement, le démantèlement des groupes armés et la réinsertion des individus désarmés (SNDDR), dénombre 162 gangs dans tout le pays. Pour cette même instance, ces gangs sont constitués de plus de 3 000 hommes armés, sans compter les cellules dormantes.
Au mois de mai 2022, la police haïtienne recense 201 homicides volontaires et 198 enlèvements, soit une moyenne de 7 cas par jour, rapporte les Nations Unies.
Frédéric Thomas, pense qu'il y a différents ressortissants américains qui sont impliqués dans cet assassinat. C’est par ce biais qu’ils mènent l’enquête. Ils ont obtenu l’extradition de trois personnes. Il y a une forme juridique particulière qui fait qu’ils sont tenus au secret, ce qui explique la non-collaboration. D’autre part, je pense qu’il y a une défiance très forte envers la justice haïtienne. On sait bien que par leurs manquements et par sa politisation, il n’y a plus de confiance en Haïti envers cette justice même à l'extérieur.
" Je pense que c’est très clair. On ne donne absolument pas les moyens au juge d’enquêter là-dessus. Il y a une main mise du politique, mais aussi l’impunité qui est la condition du maintien au pouvoir et du statut quo. Les personnes qui sont au pouvoir actuellement sont impliquées au haut niveau", a ajouté Frédéric.
Toutefois, il faut noter que "l'impasse politique n’a fait qu’accélérer et instrumentaliser la violence en Haïti". Il y a une volonté politique que cette enquête n’aboutisse pas. C’est pour cela que les choses traînent.
À l’approche de cet anniversaire de la mort de Jovenel Moïse, des policiers ont été relevés de leurs fonctions.
Cependant c’est de la poudre aux yeux. C’est pour faire semblant que des choses se font, mais rien ne se fait et rien ne se fera. L’impunité est la condition du maintien au pouvoir de l’élite corrompue.
Frédéric Thomas : C’est le Premier ministre par intérim, Ariel Henry.
Jovenel Moïse aurait déjà dû quitter le pouvoir en février 2021. Il avait contesté en interprétant en sa faveur la durée de son mandat en disant qu’il devait prendre fin le 7 février 2022. Toujours est-il que cette date est aussi passée. Le gouvernement haïtien n’a aucune base légale et encore moins de légitimité. Il tient parce que l’international le soutient. "Tant que ce gouvernement sera-là, avec ces hommes au pouvoir, il n’y aura aucune avancée sur l’enquête de l’assassinat de Jovenel Moïse, mais également des massacres" , affirme
Frédéric Thomas, spécialiste d'Haïti.
Auprès des Haïtiens et des Haïtiennes, il n’a aucune crédibilité. C’est aussi un facteur qui complique tout. Le fait qu’il soit soutenu par l’international revient implicitement à soutenir l’impunité en Haïti. Pour lui, l'insécurité a vraiment explosé à partir de 2020-2021. Elle s’est encore aggravée au cours de ces derniers mois. Les chiffres sont variés, car il y a toute la partie sud de Port-au-Prince et notamment le quartier populaire de Martissant qui est au mains des bandes armées depuis plus d’un an. Là-bas, on n’a pas de chiffres sur les morts et les enlèvements.
L’ONU estime qu’il y a eu plus de 200 enlèvements en Haïti rien que pour le mois de mai 2022. Le niveau d’homicides augmente. L’insécurité s’est accrue. Les bandes armées ont décuplé leur pouvoir et leur territoire. Fin-avril début-mai, on estime qu’au moins 191 personnes ont été tuées dans un massacre. C’est le plus grave massacre qui ait eu lieu depuis des décennies en Haïti.
Il y a une forme d’exaspération, de frustration, de rage au sein de la population. Elle voit le pays s’enfoncer encore plus alors que rien n’est fait.
Frédéric Thomas : Essentiellement au nom de la stabilité. C’est-à-dire un changement qui passe par des élections, par une reproduction du système avec des changements un peu à la marge, mais pas une transition sur laquelle elle n’aurait pas le contrôle et qui risque très fort de se retourner contre elle. En tout cas, contre ses intérêts et sa politique. Au nom de la volonté d’avoir un certain contrôle sur l’avenir d’Haïti, on l’a condamné à un cycle de répétitions de catastrophes et de crises, a rétorqué Thomas.
La communauté internationale a tout misé sur un changement sous contrôle, avec des élections, une reproduction des mêmes rapports de force, etc.
Au nom de cette obligation de passer par la voie électorale, on a rejeté la proposition issue de mouvements sociaux d’une transition de rupture. De nos jours, le pays se retrouve sans élections et l’ONU reconnaît qu’il n’y en aura probablement pas cette année. Au nom de la volonté d’avoir un certain contrôle sur l’avenir d’Haïti, on l’a condamné à un cycle de répétitions de catastrophes et de crises.
Rosine MANGA