Société

Egypte : un animateur islamiste visé par des plaintes après des propos sexistes

Egypte : un animateur islamiste visé par des plaintes après des propos sexistes

Tenir des propos sexistes en Egypte n’est plus sans conséquences. De telles déclarations ont valu à une télécoraniste populaire de devenir l’ennemie numéro un des femmes égyptiennes mais aussi des ONG, des parlementaires, des artistes, des journalistes et des internautes qui réclament des sanctions.


Si vous vous souciez de la vie, habillez-vous comme un berceau » : cette phrase du célèbre télécoraniste Mabrouk Atteya a fait de lui l’homme le plus impopulaire d’Égypte malgré les 1,2 million de personnes qui le suivent sur Facebook et ses 300 000 abonnés Youtube. Il est vrai qu’il commentait le massacre d’un étudiant devant l’Université de Mansoura dans le Delta par un admirateur rejeté. Un crime qui avait secoué l’Egypte par sa sauvagerie et aussi par le fait que des passants avaient filmé et diffusé la scène sur les réseaux sociaux. Le télécoraniste, qui dirige également le département d’études islamiques de l’université al-Azhar, faisait référence au fait que l’étudiante assassinée n’était pas voilée, ce qui, selon lui, pouvait provoquer un désir incontrôlé chez les hommes.

Autrefois, lors de la discussion d’une loi contre les violences faites aux femmes, Mabrouk Atteya avait estimé que ce sont les femmes qui provoquaient leur seigneur et maître de mari, ce qui le poussait à les corriger. Une tendance répandue chez les prédicateurs islamistes et même conservateurs. Certains étaient allés jusqu’à justifier le harcèlement sexuel lors des manifestations de la place Tahrir au motif que les tenues des femmes étaient provocantes et l’un était allé jusqu’à dire que les victimes étaient ” refoulés sexuels cherchant à se faire peloter et plus “.

<< Les discours des prédicateurs de plus en plus critiqués >>

Cette fois, les propos sexistes de Mabrouk Atteya ne sont pas passés. La société égyptienne en 2022 n’est plus ce qu’elle était il y a 10 ou même 5 ans. Le conservatisme islamique qui était en plein essor et auquel souscrivait une majorité croissante d’Egyptiens a subi de sévères revers. La prise de pouvoir démocratique des Frères musulmans a rapidement déçu bon nombre de ceux qui avaient voté pour eux. Non seulement les lendemains n’étaient pas roses, mais les crises et les pénuries se multipliaient, de quoi provoquer un soulèvement populaire mené par la gauche, les libéraux, mais aussi les femmes qui avaient vu les droits qu’elles avaient conquis à force de lutte commencer à fondre comme neige au soleil. Soleil. Un mécontentement récupéré par les militaires. La déception, mais aussi la répression, ont fait reculer l’islamisme. Les discours des prédicateurs, jusque-là incontestables, sont de plus en plus critiqués, notamment ceux sur les femmes.

Un autre tremblement de terre est venu d’Arabie Saoudite, terre de l’idéologie wahhabite qui avait conquis le monde arabo-musulman en devenant le pays le plus riche ; pourvoyeur d’emplois et de pétrodollars. Les autorités du royaume ont commencé à lever le carcan du wahhabisme. La mesure la plus symbolique a été l’autorisation donnée à femmes au volant. Le pays de La Mecque n’était plus le grand défenseur d’un islam ultra-rigide et les autorités ne subventionnaient plus cette idéologie à travers le monde. Et puis il y a eu la montée de réseaux sociaux régulièrement utilisé par plus de 50 millions d’Égyptiens. Des réseaux qui traitent aujourd’hui beaucoup plus de questions sociales que de politique, un domaine plus risqué.

<< L’émergence d’une nouvelle forme de féminisme >>

Un climat qui a favorisé l’émergence d’un nouveau féminisme qui n’est pas calqué sur le modèle occidental comme c’était le cas depuis près d’un siècle. Nihad Aboul Qomsan, fondatrice et présidente du Centre égyptien pour les droits des femmes, en est un exemple. Cette avocate voilé conteste les déclarations des cheikhs sur l’obligation du voile. Pour elle, ” il y a des cheikhs qui sabotent le cerveau de certains jeunes avec des propos extrémistes “ :” Non, les femmes ne porteront pas de berceau elle a répondu à Mabrouk Atteya en ajoutant : « Si quelqu’un va porter un berceau c’est Mabrouk Atteya. Aboul Qomsan a porté plainte contre le télécoraniste l’accusant d'incitation à la violence et glorification du crime ». Des plaintes qui commencent à pleuvoir avec des centaines de personnes bombardant le site du procureur général de demandes de poursuites judiciaires contre Mabrouk Atteya.

Face au tollé, le télécoraniste a déclaré qu’il allait arrêter son émission de télévision et a estimé qu’il avait été incompris même si sa langue avait peut-être fourchu dans l’instantané. Mais à l’appel de nombreux abonnés sur Youtube, Mabrouk Atteya est revenu à la charge. Dimanche soir, il a annoncé qu’il allait donner une ” conférence » sur Youtube dont le sujet sera « violence légale et passages à tabac en islam “.

Denise KAVIRA KYALWAHI