Baptisée PestiRiv, cette enquête lancée ce mardi 19 octobre par Santé publique France (SPF) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) vise à établir l'impact des pesticides sur les riverains des zones viticoles.
Au total, six régions sont concernées par cette enquête, à savoir Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Bourgogne-Franche-Comté, Grand-Est, Nouvelle-Aquitaine. Le nombre de participants est de 3 350, tirés au sort. Ils ont entre 18 et 79 ans et habitent au milieu des vignes ou loin de ces plantations. Entre octobre 2021 et février 2022, un premier échantillonnage aura lieu car, selon les experts, c'est la période pendant laquelle "les traitements des vignobles avec des produits phytopharmaceutiques sont les moins fréquents." Un second échantillonnage aura lieu de mars à août 2022, au moment du pic d'utilisation des pesticides dans les vignobles. Les participants seront contactés par une lettre qui leur sera envoyée le 25 octobre. L'échantillonnage commencera en novembre et les résultats de cette enquête ne seront pas disponibles avant 2024, a précisé Clémence Fillol, responsable du lancement de l'étude pour SPF.
Elle comparera 1 500 personnes en situation "d'exposition". C'est-à-dire qui résident dans un rayon de 0 à 500 mètres des vignobles, et à plus d'un kilomètre de toute autre culture pour éviter toute situation pouvant prêter à confusion. Et, 1 850 autres personnes "non exposées" qui résident à plus de 5 km des vignobles et à plus d'un kilomètre des cultures.
Deux mesures principales seront utilisées pour évaluer l'impact biologique des pesticides : des échantillons d'urine et de cheveux des participants, et ceux de l'environnement (air extérieur, poussière à l'intérieur des maisons, fruits et légumes des jardins).
L'objectif principal de cette recherche, a expliqué Sébastien Denys, directeur du pôle Santé, environnement et travail au sein de SPF à la rédaction de Libération, est "d'identifier une éventuelle surexposition aux pesticides, ce travail nous permettra de mieux déterminer les voies et les sources d'exposition, de comprendre aussi l'influence que peuvent avoir la distance aux vignobles, le comportement des individus et de décrire la variation saisonnière."
Plusieurs substances à rechercher
Près d'une cinquantaine de substances seront étudiées lors de cette enquête, financée principalement par le plan Ecophyto, un projet gouvernemental qui vise à réduire de 50% l'utilisation des pesticides d'ici 2025. Or, la viticulture est l'une des cultures qui utilise le plus de produits phytosanitaires après la pomme. Il s'agit de produits tels que : Le cuivre, très utilisé en agriculture biologique, le folpel, " une des molécules phares utilisées en viticulture ", le glyphosate, utilisé sur la vigne, les SDHI, fongicides. Des critères tels que la persistance d'un produit dans l'environnement et sa toxicité pour le corps humain seront également pris en compte.
Les cancers de l'enfant à l'origine
L'ouverture de cette enquête est d'abord due à ce qui a été appelé en 2013, "l'affaire de Preignac". En effet, dans cette petite ville de Gironde, le maire avait signalé à l'Agence régionale de santé un nombre important de cancers chez des enfants, fréquentant ou ayant fréquenté son école élémentaire située à quelques pas des vignes. L'association Alerte des médecins sur les pesticides s'est saisie de la question et a saisi la Direction générale de la santé en 2015. Chargé du suivi, l'Institut de veille sanitaire, désormais intégré à SPF, avait conclu que "la contribution des pesticides au risque de cancer ne pouvait être exclue" dans cette affaire. Selon Sébastien Denys, le scientifique de l'organisme public "Notre étude vient six ans plus tard dans la continuité de la situation de Preignac, mais de manière plus approfondie, plus robuste, plus détaillée et surtout étendue aux six grandes régions viticoles du pays".
Une initiative salutaire pour les associations de lutte contre les pesticides et de défense des victimes. Même si elles craignent la puissance du lobby viticole, tout ce qui peut démontrer le lien entre santé et pesticides est salutaire. Cependant, Claire Bourasseau, responsable du service des victimes de l'association phytovictimes, estime que "les riverains sont légitimement inquiets, mais il ne faut pas montrer du doigt les travailleurs. Le but est de trouver une agriculture qui convienne à tous et qui ne mette personne en danger". Générations Futures, également membre du comité de suivi de PestiRiv, estime que l'initiative est nécessaire mais pas suffisante. Son porte-parole, François Veillerette, perçoit toutefois l'étude des habitants comme un signal "positif". Il ajoute à cet effet "C'est la première fois que nous avons une étude aussi coordonnée et complète. [Dans les études], jusqu'alors, la santé des habitants n'existait pas. Cela signifie que le problème a été identifié, nous avons potentiellement la reconnaissance d'une situation à risque."
Vignobles : les hommes et les plantes s'entremêlent
Selon Ohri Yamada, responsable de la phytopharmacovigilance à l'Anses, "les vignobles sont beaucoup plus imbriqués dans l'habitat que les autres cultures, ce qui va multiplier les situations d'exposition en tant que riverain." Les vignobles ont la particularité d'exposer régulièrement les personnes aux pesticides, les habitations locales étant imbriquées dans les cultures. De plus, étant une culture pérenne, les riverains sont soumis aux pesticides tout au long de l'année. En cela, il existe de fortes possibilités d'absorption de produits toxiques.
Aretha OYOA