Le procès pour l'assassinat de Thomas Sankara est rendu à la phase des réquisitions depuis le mardi 8 février 2022. A cet effet, 30 ans de réclusion criminelle ont été requis contre Blaise Compaoré, présenté comme le principal donneur d'ordres. Ce procès est sensé enfin lever le voile sur ce qui s'est réellement passé dans l'attaque du 15 octobre 1987, qui avait coûté la vie au président Thomas Sankara. Il s'agit donc aussi d'un procès pour l'histoire qui pourrait se définir dans la vengeance, l'exemple ou tout simplement la diversion.
Selon le parquet militaire de Ouagadougou, l’objectif de Blaise Compaoré, Hyacinthe Kafando et Gilbert Diendere dans l’attaque du 15 octobre 1987 était bien l’assassinat de Thomas Sankara, et non une tentative d’arrestation qui aurait mal tourné, comme le clament les accusés. Le parquet a martelé : "J’accuse Blaise Compaoré, oui je l’accuse de l’un des crimes les plus graves d’atteinte à la sûreté de l’État. Je l’accuse également de complicité d’assassinat. Pouvait-on seulement arrêter le capitaine Thomas Sankara? Le charisme et la popularité du président du Conseil national de la révolution, rendait périlleuse cette démarche. L’objectif du complot était de tuer." Alors, le parquet a requis 30 ans de réclusion criminelle contre Blaise Compaoré identifié comme le cerveau. Quant à Hyacinthe Kafondo, le commandant de la garde de Blaise Compaoré, il est désigné comme celui qui a assuré la coordination du commando. La justice militaire a également requis à l'encontre de Gilbert Diendéré, l'un des chefs de l'armée lors du putsch de 1987 et accusé de complicité d’assassinat et de complicité de recel de cadavre et de subornation de témoins, 20 ans de prison. Pour le parquet, il n’a pris aucune mesure contre les membres du commando alors qu’il avait en charge la sécurité du Conseil de l’entente. La justice lui reproche également de ne pas avoir réagi quand le président Thomas Sankara et ses collaborateurs ont été attaqués. Enfin, contre le colonel major Jean-Pierre Palm, qui avait nié toute complicité lors du procès, le parquet requiert 11 ans de prison, assortis de sursis. Car selon le parquet, tout le désigne comme un membre du complot : sa visite tardive à Blaise Compaoré la veille de l’assassinat, les notes et enregistrements de renseignement de la gendarmerie récupérés et détruits peu après les faits, les personnes emprisonnées par ses instructions.
Tout semble à première vue montrer qu'il s'agit d'un procès tout ce qu'il y a de normal, mais à bien y regarder, quelques détails peuvent inciter à la réflexion. D'abord, en ce qui concerne les accusés, Blaise Compaoré aujourd'hui âgé de 70 ans vit en exil en Côte d'Ivoire et bénéficie selon toute vraisemblance d'une immunité en tant qu'ancien président du Burkina Faso. Gilbert Dienderé - le principal accusé présent au procès et l'un des commandants de l'armée lors du coup d'État de 1987 quant à lui, purge déjà une peine de 20 ans pour une tentative de coup d'État militaire en 2015. En ce qui concerne Hyacinthe Kafando, il sera l'un des grands absents de ce procès, puisqu'en fuite depuis 2016. Quant à Jean Pierre Palm il reste quasiment le seul pour qui l'issue de ce procès est un véritable enjeu. A la lecture de tout ceci, l'on peut aisément accepter que si ce procès est bon pour l'histoire et l'exemple, il n'en est pas moins une vengeance contre de grosses légumes du système burkinabè devenues trop encombrantes. Il ne faut pas oublier que dans la relatation des faits, il est mentionné que lorsque Jean Pierre Palm détruisait les tables d'écoute, il était accompagné de mystérieux blancs. Le contexte national et international à cette époque là était véritablement pesant. Félix Houphouët Boigny, patriarche de la Côte d'Ivoire voisine et grand chantre de la françafrique supportait de moins en moins ce jeune capitaine qui prenait une place importante dans le coeur des africains. Le rapprochement de Thomas Sankara avec la Russie n'était pas non plus vu d'un bon oeil par les pays occidentaux. Par ailleurs, le président français de François Mitterrand ne cachait pas son courroux face aux discours anticolonialistes de Thomas Sankara. Le jeune capitaine de 33 ans ne quittait presque jamais son treillis et il avait toujours à la hanche, même lors des réceptions officielles comme la visite de François Mitterrand au Burkina Faso le 17 novembre 2006, son pistolet à crosse de nacre offert par le président nord-coréen Kim Il-Sung, ce qui était pour beaucoup, une entorse au protocole d'État.
Beaucoup de personnes voulaient la mort de celui qui avait rebaptisé sa nation, pays des hommes intègres. Beaucoup avaient des moyens de tuer Thomas Sankara, parmi lesquels les ivoiriens et les français. Jusqu'ici les débats ne se sont pas orientés vers ces pistes pour essayer de relever tout au moins, des complicités. Ce qui pourrait laisser croire que Blaise Compaoré et compagnie étant des victimes idéales, ce procès pourrait être aussi celui de la diversion.
Loris-Clet ADIANG