Cannes 2025 : l’Œil d’or pour un documentaire tchétchène et Julian Assange distingué

Le Festival de Cannes 2025 restera dans les annales comme une édition marquée par l’audace documentaire, l’engagement politique et la reconnaissance de voix venues des marges. Pour la première fois de son histoire, l’Œil d’or du meilleur documentaire a été attribué à un film tchétchène, « Imago » de Déni Oumar Pitsaev, tandis qu’un prix spécial a salué « The Six Billion Dollar Man », un documentaire consacré à Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Ces distinctions, remises par un jury présidé par Julie Gayet, témoignent de la vitalité du cinéma du réel et de sa capacité à interroger le monde contemporain, ses zones d’ombre et ses figures controversées.

Un palmarès sous le signe de la liberté et de la résistance

L’Œil d’or, créé en 2015 pour récompenser le meilleur documentaire présenté à Cannes, a pris une dimension nouvelle cette année. Le choix du jury d’honorer « Imago », œuvre autobiographique d’un jeune réalisateur tchétchène, est un signal fort envoyé à la communauté internationale. Le film, tourné clandestinement, retrace le parcours de Pitsaev, entre exil, quête d’identité et dénonciation de la répression dans sa région natale. À travers des images brutes, des témoignages poignants et une mise en scène épurée, « Imago » donne à voir la réalité d’une jeunesse tchétchène prise en étau entre traditions, violence d’État et aspiration à la liberté.

Ce prix, salué par la critique et les ONG de défense des droits humains, rappelle le rôle du documentaire comme outil de résistance et de mémoire. Il offre une tribune à ceux dont la parole est souvent muselée, et fait écho aux luttes pour la liberté d’expression dans de nombreux pays.

Julian Assange, héros ou paria ? Un documentaire qui divise

L’autre événement du palmarès est la distinction accordée à « The Six Billion Dollar Man », un film consacré à Julian Assange. Réalisé par l’Australien Ben Lawrence, ce documentaire retrace le parcours du fondateur de WikiLeaks, de ses révélations fracassantes sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan à son enfermement dans l’ambassade d’Équateur à Londres, puis à sa détention au Royaume-Uni.

Le film, nourri d’archives inédites, d’entretiens avec des proches, des journalistes et des avocats, interroge la figure d’Assange : lanceur d’alerte visionnaire pour les uns, manipulateur dangereux pour les autres. Le jury a salué « la force d’un récit qui interroge la transparence, la vérité et le prix à payer pour la liberté d’informer ». Cette récompense intervient alors que le sort d’Assange reste incertain, la justice britannique ayant repoussé sa possible extradition vers les États-Unis.

Le documentaire, miroir des fractures du monde

Au-delà des lauriers, la sélection documentaire de Cannes 2025 a été marquée par une grande diversité de sujets et de formes. Des films sur la crise climatique, les migrations, les résistances féministes, les nouvelles technologies ou encore la mémoire des conflits ont rythmé la Quinzaine. Le public, nombreux aux projections, a salué l’engagement des cinéastes et la capacité du documentaire à éclairer l’actualité autrement.

Le succès d’« Imago » et de « The Six Billion Dollar Man » s’inscrit dans une tendance de fond : le retour en force du cinéma du réel, à l’heure des fake news, de la défiance envers les médias et de la fragmentation des récits. À travers le regard singulier des auteurs, le documentaire interroge la complexité du monde, donne la parole aux invisibles et invite à la réflexion collective.

Cannes, vitrine et tremplin pour le documentaire international

La reconnaissance de films venus de Tchétchénie ou d’Australie souligne l’ouverture du Festival de Cannes à toutes les cinématographies. L’Œil d’or, longtemps considéré comme un prix secondaire, s’impose désormais comme un label d’excellence, capable de propulser des œuvres vers une carrière internationale, des festivals aux salles de cinéma, en passant par les plateformes numériques.

Pour les réalisateurs primés, cette distinction est un tremplin, mais aussi une protection : dans des contextes où la liberté artistique est menacée, la visibilité offerte par Cannes peut dissuader les tentatives de censure ou de répression. Plusieurs ONG ont d’ailleurs appelé à la protection de Déni Oumar Pitsaev et à la libération de Julian Assange, saluant le courage des organisateurs du festival.

Un cinéma du réel, entre engagement et innovation

La vitalité du documentaire à Cannes témoigne aussi de l’innovation formelle du genre. Les films primés explorent de nouvelles écritures : hybridation avec la fiction, usage des archives, mise en scène immersive, recours à l’animation ou au témoignage direct. Cette créativité, portée par des cinéastes souvent jeunes et issus de la société civile, renouvelle le langage du cinéma et élargit son public.

Les plateformes de streaming, de Netflix à Arte.tv, jouent un rôle croissant dans la diffusion des documentaires, permettant à des œuvres exigeantes d’atteindre un large public. Les producteurs et distributeurs présents à Cannes ont souligné l’importance de soutenir la création indépendante, face à la concentration des médias et à la tentation du divertissement formaté. 

Conclusion

Le palmarès documentaire de Cannes 2025 consacre la force du cinéma du réel comme miroir des fractures, des espoirs et des combats du monde contemporain. En distinguant un film tchétchène et un documentaire sur Julian Assange, le festival affirme son engagement en faveur de la liberté, de la diversité et de l’innovation. Plus que jamais, le documentaire apparaît comme un art majeur, capable de donner sens à l’actualité, de porter la voix des sans-voix et de nourrir le débat démocratique. À l’heure des crises et des incertitudes, le regard des cinéastes sur le réel est une boussole précieuse pour comprendre, résister et imaginer l’avenir.