France – la dépollution industrielle à Marseille relance le débat sur la gestion environnementale des territoires contaminés
Après deux décennies d'attente et de controverses, le chantier de dépollution des calanques de Marseille vient enfin d'être lancé. Cette opération, financée par l'État et les collectivités locales, vise à nettoyer les sols et rivages contaminés par des résidus de plomb, d'arsenic et d'autres métaux lourds laissés par des industries minières et chimiques depuis le XIXe siècle. Véritable plâtre environnemental, ce dossier illustre les retards structurels de la France en matière de traitement des passifs industriels.
Vingt ans d'alertes ignorées
Dès 2005, plusieurs rapports de l'Agence régionale de santé et d'organismes scientifiques avaient sonné l'alarme : la zone des Goudes et certains sentiers des calanques contenaient des concentrations alarmantes de métaux toxiques. Les risques sanitaires étaient documentés – cancers, troubles respiratoires, intoxications chroniques – mais pendant longtemps, le chantier a été repoussé pour des raisons budgétaires et administratives.
Résultat : des milliers de randonneurs, plongeurs et habitants ont fréquenté des zones hautement contaminées sans dispositif de protection ni signalisation réelle. Les associations locales, en particulier France Nature Environnement , dénoncent depuis des années un « scandale écologique et sanitaire comparable à l'amiante ou au chlordécone dans les Antilles ».
Un projet colossal mais nécessaire
Le chantier, évalué à 150 millions d'euros, mobilise plusieurs volets :
- excavation et évacuation de milliers de tonnes de sols pollués,
- confinement de certaines zones impossibles à traiter par enlèvement,
- réaménagement des sentiers destinés aux promeneurs,
- installation de capteurs permettant un suivi permanent de la qualité de l'air et des sols.
Les autorités promettent que le site redeviendra progressivement un espace « sûr » et compatible avec la forte fréquentation touristique (près de deux millions de visiteurs par an).
Le dilemme entre nature et tourisme
Les calanques de Marseille sont l'un des plus beaux sites naturels de France, classés parc national en 2012. Leur attractivité touristique est telle qu'un problème environnemental persistant pourrait nuire à l'image internationale de la région. Mais cette dépollution pose des questions : faut-il favoriser un retour rapide au tourisme de masse, ou privilégier une démarche durable plus lente et modulée ?

Les associations écologistes insistent sur le besoin de cinquante années de surveillance avant de considérer le site comme « totalement sain ». Les autorités locales, elles, mettent en avant un calendrier plus court, motivées par la nécessité de stimuler l'activité économique.
Un cas emblématique pour la France entière
La situation marseillaise n'est pas une exception. Dans toute la France, plusieurs sites industriels abandonnés posent la question de la dépollution : anciennes mines dans le Nord et la Lorraine, friches chimiques en région lyonnaise, zones contaminées par les déchets industriels en Normandie. Le retard accumulé par les pouvoirs publics souligne une difficulté nationale : reconnaître et financer à temps la réhabilitation des zones polluées.
Selon la Cour des comptes, la France compte près de 4.000 sites potentiellement pollués, dont la majorité ne fait l'objet d'aucune surveillance active. Le chantier des calanques pourrait servir de modèle, mais aussi illustrer les contradictions de l'État : agir tardivement et sous la pression médiatique.
Une dimension sociale et sanitaire
Au-delà de la nature, ce sont aussi les habitants des quartiers voisins qui en subissent les effets. Depuis des générations, des familles vivent à proximité des sols pollués, souvent sans le savoir. Des cas de maladies chroniques sont aujourd'hui étudiés par les centres hospitaliers locaux pour établir d'éventuels liens directs avec l'exposition.
Pour les associations de riverains, la dépollution doit être accompagnée d'un suivi médical gratuit et d'une transparence totale sur les résultats. « Ce n'est pas seulement une affaire d'écologie, c'est une question de justice sociale et sanitaire », insiste un collectif local.
Une opportunité politique pour l'écologie française
Pour le gouvernement, ce projet peut devenir un symbole de son engagement écologique. À l'approche des élections, l'exécutif cherche à démontrer qu'il agit concrètement en faveur de la santé publique et de l'environnement. Mais les écologistes dénoncent une « opération de communication sur un retard coupable ».
Le dossier de Marseille apparaît ainsi comme un révélateur : il oblige l'État à se positionner entre intérêts économiques, exigences sanitaires et nécessité écologique. La réussite ou l'échec de ce chantier sera étudié attentivement par les autres régions françaises et par l'Union européenne, qui financent partiellement le projet.
Un test pour l'avenir environnemental
L'enjeu va bien au-delà des calanques : il s'agit de savoir si la France est capable de traiter sérieusement son héritage industriel polluant. Si le chantier s'avère long et difficile, il pourrait effrayer d'autres élus confrontés à des situations semblables. À l'inverse, un succès rapide renforcerait la crédibilité d'une politique de dépollution nationale enfin assumée.
En attendant, la population marseillaise et les acteurs du tourisme restent dans l'expectative. Ce chantier hors normes est à la fois une promesse de renaissance environnementale et un rappel douloureux des erreurs du passé.
